Retour au point de départ ?

A force de déambuler dans les rues d’Im, Gwenaëlle était arrivée dans les rues marchandes. Elle avait troqué sa vieille cape de voyage contre un nouveau manteau en cuir qui lui saillait à merveille. Elle était à l’aise, dedans et avait bien chaud. En plus, la vendeuse, une ancienne habitante de F’len, lui avait fait un prix. Elle marchait tout en regardant autour d’elle, aussi émerveillée qu’aux premiers jours de son séjour ici. Décidément, cette ville la surprenait de jour en jour et Gwenaëlle découvrait à chaque fois de nouveaux endroits non visités.

Maintenant qu’elle y songeait, elle ne s’était pas encore aventurée ici. Pourtant, les rues étaient plus que passantes et regorgeaient de boutiques merveilleuses, pleines d’objets en tous genres et qui, pour certaines, ne désemplissaient pas. Son attention avait justement été attirée par une vitrine où étaient exposées de superbes bottes en cuir, toutes neuves.

Elle courait presque en direction de la boutique, installée juste à côté d’une auberge d’où provenaient des discussions incompréhensibles de clients. Elle ne voyait que ces bottes, dans la vitrine et ne faisait plus attention à ce qui l’entourait. Elle avançait toujours, quand quelque chose la percuta, ou peut être que c’était elle qui avait heurté cette… Cette personne !

Dans sa hâte, elle avait heurté de plein fouet un homme plus grand qu’elle, apparemment plus fort qu’elle, à la douleur qu’elle ressentait dans l’épaule droite. Il devait avoir la trentaine, pas plus, et fumait quelque chose qui avait l’air de plante ou quelque chose dans ce genre. En voyant son visage barré d’un bandeau cachant un œil, qu’il avait sûrement perdu, elle ne pouvait s’empêcher de le trouver bel homme. Il était plutôt imposant, et il valait sûrement mieux se trouver de son côté plutôt que d’être son ennemi. Mais Gwenaëlle ne se laissa pas intimider et lança, enhardie, à l’homme :

- Eh bien, vous auriez pu faire un peu attention ! Je me suis presque démis l’épaule !

Campée devant l’homme, elle s’était redressée de toute sa hauteur et le regardait sans ciller, les sourcils froncés, tout en se massant l’épaule pour effacer la douleur qui n’était que passagère mais qui la prenait tout de même.

Gwenaëlle regardait toujours l’homme avec effronterie, et lui, il lui avait simplement répliqué :

- S’cusez moi, enfin bon si vous pouviez regarder devant vous ce serait pas mal pour tout le monde.

Ces propos dit avec une telle désinvolture désarçonnèrent Gwenaëlle en elle-même, mais elle ne baissa pas le regard. L’atmosphère devenait tendue. D’accord, elle n’avait pas fait attention à lui et lui avait foncé dedans, mais lui aussi semblait être dans ses pensées. Plus elle le regardait, plus elle se demandait comment elle avait fait pour ne pas le voir. Ce n’était tout de même pas le genre d’homme à se fondre dans la masse.

- Excusez moi, c’est vrai que je n’ai pas vraiment fait attention à la direction que je prenais. Je me présente, Gwenaëlle Sedura, je suis de passage à Im. Et vous, vous êtes ?

Gwenaëlle fut surprise de ce qu’elle venait de dire. Elle n’avait pas songé à avouer sa faute si vite, ni même à se présenter, mais elle avait été rattrapée par sa curiosité. Tout au fond d’elle, quelque chose voulait savoir qui était cet homme. Pour combler sa surprise, son visage s’était détendu et elle souriait amicalement à l’homme.


[Dis moi, c'est pas ton anniv, aujourd'hui? Bon anniversaire!! ^^]

Gwenaëlle avait baissé toutes ses gardes, mais elle savait très bien qu’elle ne risquait rien, dans cette rue pleine de monde. Et puis cet homme l’attirait, non seulement par son apparence physique, mais aussi par l’aura qu’il dégageait. Elle fut même surprise que cet inconnu lui réponde. Ainsi il s’appelait Ramzteïn el Dragon et il était lui aussi de passage à Im. Mais elle fut d’autant plus surprise qu’il engagea la conversation en lui demandant si elle avait entendu parler de tueurs qui rôdaient dans les environs de la ville.

D’abord, le nom Warnilov ne lui évoqua rien, puis, à force de réfléchir, elle se souvint qu’elle avait vu une pancarte placardée dans l’auberge où elle passait ses nuits, et peut être même qu’elle avait vu cette même affiche sur les murs de certains bâtiments. Elle n’avait pas vraiment lu cette affiche mais elle se souvenait vaguement de deux hommes d’apparence robuste, bruns, peut être, et apparemment très dangereux.

- Euh… Peut être, oui, j’en ai entendu vaguement parler. Il paraît qu’ils sont très dangereux. En étant une femme sans presque aucune défense, je ne me promènerai pas dans des rues désertes seule.

Ca y est, on l’avait lancée sur un sujet qui avait éveillé sa curiosité. Elle n’y avait pas fait attention pendant une semaine, mais maintenant elle éprouvait l’envie de partir à la recherche de ces tueurs, ne serait ce que pour vivre des aventures dignes de ce nom, pas forcément pour toucher la récompense. Oui, l’envie était plus forte que tout, elle allait tout faire pour essayer de retrouver ces hommes. Après tout, elle savait suffisamment se battre, ou plutôt se défendre, si on l’attaquait, pour lui permettre de fuir.

- Vous savez autre chose sur eux ?


[T'inquiète, le manque d'inspiration je connais ^^ (pour être parfois en panne en plein chapitre d'Ad Vitam, l'histoire que j'écris)]

- Et de ce fait vous chercheriez plutôt quelqu’un, une jeune femme, qui veuille bien servir d’appât pour que vous puissiez les capturer ? Excellent stratagème, mais si, comme vous l’avez dit, ils sont si doué que cela, ne remarqueront ils pas le subterfuge ? Ou alors ils ne seront pas suffisamment intelligents pour se laisser berner… Croyez moi ou non, mais quelle qu’en soit l’issue, je suis prête à vous aider dans votre quête.

Toute méfiance ou insolence avait désormais disparut d’elle, vis-à-vis de Ramzteïn. Elle serait ravie d’aider à la capture de dangereux criminels, dont il semblait que personne ne daigne s’en occuper. Et puis ça mettrait du piquant dans son séjour. Elle aurait fini par s’ennuyer, à force de marcher toujours dans les mêmes rues débordantes de monde. Enfin, si Ramzteïn les connaissait, elle préférait ne pas créer de tension en lui demandant comment il les avait connus, il serait d’autant plus aisé de les coincer.

- Bien sûr que non, je ne suis pas vierge ! Il y a déjà quelques temps que j’ai goûté aux plaisirs de la chair. Et je ne me plaints pas, j’ai eu d’excellents partenaires…

Quelle question stupide ! Avait elle l’air si innocente que ça ? Et puis pourquoi lui racontait elle cela ?! Ca ne le regardait pas !

* Tu n’aurais pas simplement pu dire non ?! *

- J’espère que vous voulez rire quand vous parlez de dénicher une prostituée vierge !

Elle ne put s’empêcher de faire cette remarque ironique, avec un sourire goguenard, qui pouvait paraître déplacée, mais ce n’était que la vérité. Du moins, Gwenaëlle doutait qu’il puisse exister des prostituées qui soient encore pures, à moins qu’elles ne soient qu’en début de carrière. Et ce serait absurde de demander à quelqu’un de ne pas avoir peur.

- Franchement, je doute que nous trouvions ce genre de personne, et puis en supposant que ce soit le cas, comment voulez vous convaincre une pauvre fille de ne pas avoir peur ? Surtout si on lui dit qu’il ne faut pas avoir peur d’un tueur en série ! C’est pour ça que je me propose. Je juge mon cas différent, et le fort caractère que j’ai hérité de mon père, ainsi que le goût de l’aventure, inhibent la peur. Je saurais tromper cet homme, croyez moi !

Elle regardait Ramzteïn droit dans les yeux, ou plutôt dans son œil valide, en supposant qu’il avait perdu le second, pour le décourager d’essayer de la dissuader de s’occuper de verser un bête somnifère dans le vin du tueur. De toutes façons, quoi qu’il puisse dire, elle avait pris sa décision.

Soudain, on la bouscula, et elle se rendit compte qu’ils parlaient au plein milieu de la rue, sans se soucier qu’on puisse entendre leurs plans. Ils devraient se faire discrets, surtout si les deux frères Warnilov avaient des contacts dans la ville.

- Vous ne pensez pas qu’on ferait mieux de discuter de ça ailleurs qu’en plein milieu de la rue ?

Gwenaëlle allait rétorquer quelque chose, mais elle préféra se taire. Plus renfrognée que jamais, elle se redressa, pour prouver qu’elle n’avait vraiment pas peur. Il doutait qu’elle puisse être capable d’endormir, seule, un homme, aussi brutal soit il. Mais Ramzteïn ne connaissait pas son talent de séduction. Elle en était persuadée, dès qu’il serait tombé dans le piège de ses charmes, ce Kenine Warnilov sera aussi impuissant qu’une clé sans sa serrure.

Le jeune homme lui répondit aussi qu’il ne servait à rien de se cacher pour parler de ça et que les deux frères tueurs n’aimaient personne. C’était vrai que la rue était tellement bruyante que leur conversation était surpassée par les cris des poissonniers qui tentaient de vendre du poisson pas frais, et par les conversations des badauds, insouciants de cette menace de deux tueurs en liberté. Les gens se croyaient-ils tant en sécurité que ça, pour laisser les jeunes filles se balader où bon leur semblait ? Gwenaëlle était persuadée qu’à F’len, des battues auraient déjà été organisées pour débusquer ces deux meurtriers et leur faire payer leurs crimes.

Lorsqu’elle retourna la tête vers son nouveau compagnon, il lui fit signe de le suivre. Ainsi ils quittèrent cette rue passante pour en traverser une beaucoup plus calme, déserte, même. Sans un mot, elle le suivit. Elle allait lui demander où ils allaient, mais elle se ravisa en pensant au Bordel dont il avait parlé.

- Vous pensez qu’ils seront là ? demanda t elle, trottinant derrière Ramzteïn, qui marchait plus vite qu’elle, histoire de ne pas laisser s’installer un trop long silence.

Ramzteïn lui répondit que s’ils n’étaient pas là c’était qu’ils étaient partis ou morts.

* Logique ! * pensa Gwenaëlle.

Ils marchaient toujours le long de la rue. Ramzteïn sorti de sa poche une fine feuille et quelques herbes, qu’il roula avant de fumer. Il avait ralenti l’allure et Gwenaëlle sentait son regard sur elle. Elle avait aussi l’impression qu’il n’était pas tranquille. Peut être qu’il se méfiait d’elle… Mais pourquoi ? Il était dix fois plus fort qu’elle, et si elle voulait le trahir, il la retrouverai à coup sûr pour se venger… Mais c’était une pensée absurde. Ca devrait être à elle de se méfier de lui. Après tout, il a dit connaître les tueurs présumés et lui a donné des détails concernant certaines de leurs habitudes.

Cette pensée la glaça alors. Et si il lui avait menti pour l’attirer dans un piège ? Si il l’amenait à ce bordel non pas pour piéger le frère Kenine mais bien pour lui permettre d’assouvir une de ses lubies ? A ce moment, Gwenaëlle n’était plus vraiment sûre de vouloir suivre Ramzteïn plus loin. Le problème c’est qu’elle avait donné sa parole qu’elle n’aurait pas peur d’affronter le frère Warnilov et qu’elle était en quête d’aventure.

* Tu as peur de quoi, enfin ?! Tu ne risques rien, cet homme ne te veut aucun mal. Et puis tu as toujours ta dague sur toi… *

De se parler pour se rassurer lui faisait beaucoup de bien, et elle reprit un peu contenance. Ramzteïn bifurqua soudain et pénétra non sans hésitation dans une demeure crasseuse, aux murs abîmés, moisis par endroits. Voyant ça, Gwenaëlle déglutit et souffla une bonne fois pour toutes, avant de rentrer à la suite de Ramzteïn.

L’intérieur n’état pas plus ragoûtant que la façade extérieure. C’était plutôt l’odeur qui provoqua des haut-le-corps à Gwenaëlle, qui faisait tout pour penser à autre chose qu’à l’odeur rance de sueur et bestiale qui flottait dans l’air nauséabond. Comment des hommes pouvaient venir ici pour leurs petites affaires ? Ramzteïn s’était arrêté devant un comptoir derrière lequel se tenait un vieillard au visage flanqué de croûtes affreuses. Lorsque Ramzteïn, suivi de près par Gwenaëlle qui fixait le comptoir, s’approcha, le vieillard demanda :

- Niéééééhéhéhéhé ! Eh ben c’est que les jeunes commencent à venir, dis donc ! Vous êtes là pour quoi ? Vous vendez cette charmante demoiselle ou c’est pour un harem ?

Gwenaëlle regarda Ramzteïn avec des yeux ronds et lui murmura, ignorant tout à fait ce qu’il voulait faire à ce moment précis :

- Qu’avez-vous l’intention de faire ?

Elle eut à peine posé sa question qu’elle avait la réponse quand Ramzteïn s’adressa au vieux. Il lui dit qu’il était venu pour prendre sa relève, l’autre étant trop vieux. Gwenaëlle trouvait le plan assez bon. Le vieillard ne semblait pas se décider et Ramzteïn joua sa dernière carte en le pressant, lui annonçant qu’il était sur le point de quitter les lieux. Le vieillard réfléchi d’autant plus.

Soudain, Ramzteïn détourna son regard de vieillard pour le poser sur elle. Elle ne put réprimer un sourire d’amusement en voyant son air dégoûté par l’endroit. Finalement, elle avait bien fait de venir, même si la suite n’allait pas forcément être une partie de plaisir. Gwenaëlle entendait les prostituées appeler Ramzteïn pour qu’il les rejoigne et elle du se mordre les lèvres pour ne pas éclater de rire. Ce n’était pas un moment à rire, mais elle ne pouvait s’en empêcher.

Lorsqu’elle vit finalement ce qui avait fait tourner la tête à Ramzteïn, la cravate immonde du vieillard, elle perdit son sourire et failli déglutir tout son petit déjeuner. Elle plaqua une main devant sa bouche et son nez pour ne plus sentir l’odeur âcre du lieu. Ne savant où poser son regard, tellement ce vieux la répugnait, elle choisi la même solution que Ramzteïn : le regarder plutôt que de s’infliger la vision d’horreur du vieillard.

* Allez ! Décide toi, bon sang ! Ou je te fais avaler ta cravate ! *

Le vieux regardait Gwenaëlle avec une envie perverse et celle-ci se sentait gênée de voir son regard vicieux posé sur elle, la déshabillant du regard. Elle s’emmitoufla dans son manteau et détourna son regard de lui.

Lorsqu’il se décida enfin, il fit signe à Ramzteïn de le suivre dans son bureau, juste derrière le comptoir. Celui-ci fit comprendre à Gwenaëlle qu’elle devait rester là et attendre qu’il revienne. Elle acquiesca d’un bref signe de tête, manquant de rendre ce qu’elle avait dans l’estomac. Lorsqu’elle releva la tête, il avait déjà presque disparut dans la pièce qui se trouvait juste derrière le guichet et où le vieux pervers était déjà entré.

Gwenaëlle était désormais seule dans ce vestibule qui lui donnait la nausée. Comment ces pauvres femmes pouvaient travailler là, dans ces conditions. Elles étaient affreuses, les pauvres filles. Certaines portaient sur les bras des marques de coups et d’autres avaient le visage défiguré. Ce n’étaient donc que des saoulards qui venaient là ? Elles étaient négligées, les bras nus, leurs robes déchirées, leur poitrine mise en avant, presque entièrement dévoilée pour attirer des hommes. Elles avaient le regard vide, triste et Gwenaëlle éprouvait de la pitié pour ces femmes qui n’étaient plus que des objets.

Elle entendit un bruit sourd, dans le bureau du vieux proxénète, mais n’y prêta guère attention, ses pensées étant concentrées sur ces femmes de si mauvaise vie. Elles avaient vu qu’elle les regardait car elles mêmes la regardaient, maintenant. Elles discutaient, aussi, à voix basse, jetant quelques fois des regards à Gwenaëlle, d’un air suffisant, que Gwenaëlle traduisait par de la jalousie vis à vie de sa tenue. Elles ne parlaient de toute évidence pas chiffons, mais d’elle. Peut être conspiraient elles pour tenter de la détrousser.

* Venez, je vous attends ! Je n’ai pas peur d’une bande de ribaudes comme vous ! *

Elle se tenait prête à se défendre d’une éventuelle attaque de ces femmes. Mais elle n’eut rien à faire car lorsque la tension était à son comble, Ramzteïn sortit du bureau, calme.

- C’est bon, tout est arrangé !

Il avait l’air confiant et souriait à Gwenaëlle qui soupira de soulagement, et qui lui rendit son sourire.

- Quelle est la prochaine étape ?

- D’accord… Je vais me débrouiller. Merci de l’information.

Elle monta l’escalier qui craquait sous chacun de ses pas. Dès qu’elle posait le pied, un nuage de poussière s’élevait dans les airs. Plus elle s’enfonçait dans ces escaliers, plus l’atmosphère se faisait glauque. L’odeur était pire que jamais et elle dut s’arrêter plusieurs fois pour ré oxygéner ses poumons et ne pas tomber dans les pommes.

La chambre 16 était au deuxième étage. Les couloirs étaient sombres et très mal éclairés. Gwenaëlle sentait la moiteur de l’atmosphère et l’humidité qui régnait partout et elle se sentait toute poisseuse, elle qui avait une hygiène presque irréprochable. La tapisserie des murs se décollait et s’affaissait par endroits. On entendait aussi des gémissements derrière certaines portes.

* Ah ! C’est là. *

Avec appréhension, mais en se convaincant que ça ne pouvait pas être pire qu’en bas, elle rentra la clé dans la serrure, la tourna et ouvrit la porte. La pièce était plongée dans la pénombre et les volets étaient fermés, ainsi que les fenêtres. Il régnait là plutôt une odeur de renfermé. Le premier réflexe de Gwenaëlle fut d’aller ouvrir les fenêtres et d’aérer la pièce. Elle avança à tâtons et réussi à tourner la poignée d’une fenêtre et à l’ouvrir. Elle poussa alors les volets et son visage fut balayé par une brise légère, pure, qui lui semblait presque anormale. Elle s’était finalement habituée à l’odeur moisie du bâtiment. Elle inspira plusieurs fois et se gonfla d’air frais, qui la fit frissonner puis tourna le dos à la fenêtre. Désormais la pièce était illuminée de la lumière naturelle. Au fond, à la gauche de Gwenaëlle, il y avait un lit double, sur lequel était simplement posée une couverture en laine. A sa droite, il y avait une commode, une petite table et deux chaises. Sur cette table, une bouteille de vin rouge attendait à être ouverte et un verre était posé à côté, n’attendant plus qu’on le remplisse. Il y avait de la poussière, mais l’ensemble était acceptable, pas trop en désordre, ni trop sale.

Qu’allait elle faire d’ici l’arrivée des deux frères, ou plutôt de Kenine, celui qu’elle était chargée d’endormir. Elle retira son manteau et le lança sur une chaise. Elle retira ensuite sa dague de sa botte et la rangea dans une poche du manteau. Enfin, elle posa sa vieille cape sur l’assise de la même chaise. A ce moment elle s’aperçu que son fouet lui manquait. Même si elle ne pourrait pas s’en servir dans une si petite pièce, elle aimait à le savoir à proximité. Toutes ses autres affaires étaient d’ailleurs restées à l’auberge, beaucoup plus loin, près de la grande place. Elle revint près de la fenêtre et regarda la rue déserte, réfléchissant à la façon dont elle allait demander le somnifère à ces filles qui l’avaient regardée de travers, tout à l’heure.

* C’est idiot ! Il n’y a qu’à leur en demander, tout simplement ! *

Gwenaëlle tourna les talons et quitta la chambre pour retourner dans ce couloir morbide qui lui faisait tourner de l’œil. Comment des hommes pouvaient ils venir prendre du plaisir ici ? C’était horrible, d’affreuses conditions pour… Tiens, en voilà une qui poussait son client dehors. Le pauvre type était à moitié endormi et n’avait pas remarqué que la prostituée serrait dans sa main droite une liasse de billets et resserrait un châle troué sur ses épaules. L’homme tituba jusqu’à l’escalier puis disparut. C’est le moment qu’attendit Gwenaëlle pour aller à la rencontre de la femme qui ricanait.

- Eh !

La femme se retourna et dévisagea Gwenaëlle avec étonnement.

- Dites, je suis nouvelle ici, alors j’aimerai savoir si vous pouviez me dépanner de quelque somnifère. A charge de revanche, bien sûr !

La femme se recula, comme pour mieux voir Gwenaëlle qui leva les yeux au ciel. D’ordinaire elle appréciait qu’on la regarde, mais là, elle avait l’impression qu’on tentait de deviner ce qui se cachait sous ce corsage et ce jupon. Elle regarda ensuite la femme avec insistance, même imploration. Elle semblait réfléchir, mais elle finit par se décider :

- Viens donc, j’ai emporté un sac de poudre de chez l’apothicaire.

Elle fit signe à Gwenaëlle de la suivre. A l’intérieur il faisait une chaleur à crever et ça sentait pire que le fauve. Du buffle, peut être. Quelques restes de chandelles brûlaient d’une lumière vacillante, baignant la pièce dans une semi obscurité. La prostituée sortit une petite boîte de sous le lit et l’ouvrit. Elle la serrait contre elle comme un trésor inestimable alors que c’était une vieille boîte tout abîmée. Elle en sortit un petit sac de poudre blanche et rangea la boîte. Elle revint vers Gwenaëlle qui était restée sur le pas de la porte et lui donna le somnifère.

- Merci.
- Faut bien qu’on s’aide, dans la misère où on est. On n’est pas comme ces riches qui ne partagent rien… Tu es bien proprette. T’étais où, avant ?

Elle n’avait sans doute pas voulu être agressive mais ces paroles étaient sorties comme ça, brut de décoffrage. Gwenaëlle ne le prit pas mal mais réfléchit à ce qu’elle allait lui raconter.

- Là où j’étais avant, ils ont passé la clé sous la porte. Ca n’avait rien à voir avec ce taudis… Euh, cette baraque !
- Ouais, je vois, une putain de luxe ! Ben ma vieille, t’as sûrement quitté le Paradis pour l’Enfer. Faut pas faire de chichis ou alors tu tiendras pas longtemps. T’as déjà un client pour me demander du somnifère si rapidement ?
- En quelque sorte, oui. On m’a dit d’aller dans la chambre 16. Vous… Tu m’excuseras mais je dois aller me préparer.
- Tu n’as pas besoin d’en dévoiler plus ! Je suis certaine que ce qu’on voit de toi est déjà suffisant pour t’attirer les plus riches des clients d’ici. Fais toi discrète, et il ne t’arrivera rien. Je parle des autres…

Par les autres elle voulait sûrement dire le reste des prostituées. Gwenaëlle remercia une nouvelle fois cette prostituée et retourna nonchalamment dans la chambre vide. Elle ne fut pas mécontente d’y pénétrer car il y faisait agréablement frais.

Lorsqu’elle passa devant le miroir aux bouts cassés, Gwenaëlle s’observa et tourna plusieurs fois devant le miroir en se regardant de face, de profil, de trois quarts dos. Cette prostituée qu’elle venait de quitter lui avait dit qu’elle pouvait rester comme elle était et qu’elle n’aurait aucun mal à attirer des clients. On lui avait toujours dit qu’elle était jolie et bien faite.

* T’es pas un peu serrée, là ?! *

Elle tâtonnait son corset bien ficelé et le desserra un peu. Elle serait plus à l’aise. Elle dévoila aussi un peu ses épaules en baissant son chemisier. Elle se sentait mieux comme ça… Elle allait vaquer à ses occupations quand elle revint devant le miroir et attrapa d’un coup la pince qui retenait ses cheveux. Elle la retira et sa chevelure tomba en cascade sur ses épaules et dans son dos. Elle souriait de satisfaction et d’amusement.

Elle se laissa ensuite tomber sur le lit. Le matelas était très dur. Ses cheveux éparpillés autour d’elle et les mains croisées sur son ventre, elle fixait le plafond délabré en ne pensant plus à rien. C’était le vide total.

Elle commençait à s’assoupir quand elle entendit des voix s’élever dans le couloir. Elle n’attendit pas une seconde pour se remettre sur pieds et filer jusqu’à la porte. Sa curiosité d’enfant qui écoute les conversations privées était en éveil. Elle entrouvrit la porte puis vit Ramzteïn discuter avec un homme. L’homme qui avait quitté il y a une quinzaine de minutes la prostituée à qui Gwenaëlle avait demandé du somnifère.

Sans trop savoir ce qu’elle faisait, elle sorti de la chambre et vint à la rencontre des deux hommes, l’air de rien.